Le journal Les Affaires, édition du 23 janvier 2009, consacre une partie de son journal, aux français qui viennent s’établir au Québec.Pour garantir que cet article sera disponible de manière permanente (car, parfois, les moteurs de recherche propres aux sites internet éprouvent quelques difficultés pour retracer une information) nous avons décidé de le reproduire en intégralité. Bonne lecture !
Les Français à la reconquête du Québec (1)
Ils sont jeunes, éduqués et, en prime, ils font des enfants. Quatre cents ans après la fondation de la Vieille Capitale, les Français affluent au Québec, une bénédiction pour les employeurs en mal de personnel qualifié. Chaque année, plus de 3 000 Français se portent volontaires pour le rêve américain. Leur intégration demeure un succès, assure Jean Renaud, professeur à l’Université de Montréal. Le sociologue a réalisé de nombreuses études sur l’établissement des immigrants.
Après un an au Québec, 9 immigrants français sur 10 occupent un emploi. Près de 7 sur 10 trouveront un emploi correspondant à leur scolarité après 5 ans. En comparaison, les Maghrébins, scolarisés et francophones, doivent compter de 12 à 18 mois de plus pour atteindre le même niveau d’intégration.
Une ascension rapide
Existe-t-il un meilleur exemple de cette réussite française que Frédéric Michel ? Arrivé au Canada en 2002, ce cadre de 35 ans est aujourd’hui président de la Jeune Chambre de commerce de Montréal. Un Québécois aurait-il pu en faire autant à Paris ? « Ça serait difficile », reconnaît le principal intéressé.
La différence réside dans la « fluidité de la société d’accueil », plus grande au Québec qu’en France, où la hiérarchie est plus pesante, explique Jean-François Lisée, directeur exécutif du Centre d’études et de recherches internationales (CÉRIUM) de l’Université de Montréal.
« Le salarié ou le cadre, au mérite, va progresser dans les échelons selon sa capacité de travail et sa capacité d’adaptation beaucoup plus facilement ici », dit celui qui a signé dans le magazine L’actualité, en juillet 2008, un billet intitulé « À quoi nous servent les Français ? », dans lequel il mettait en relief l’apport de la mère patrie et de ses ressortissants à la société québécoise.
En dix ans, plus de 37 000 Français sont venus s’établir au Québec, l’équivalent de la population de la ville de Salaberry-de-Valleyfield, en Montérégie. Il s’agit du groupe d’immigrants le plus important, devant les Chinois et les Algériens.
Arrivés ici, ils font des bébés. « La famille française typique, c’est trois enfants », dit Nathalie Francisci, vice-présidente exécutive de Mandrake, un cabinet de recrutement, à Montréal. Elle-même d’origine française, et même « maudite Parisienne », la chasseuse de têtes a mis le cap sur le Québec avec mari et enfant, en 1996.
De plus en plus de Français dans les milieux d’affaires
Outre leur contribution au bilan démographique, les Français participent au marché du travail, notamment dans les médias et dans les entreprises Internet, en communication, en technologies de l’information et en gestion.
« La Caisse de dépôt regorge de Français », cite en exemple Mme Francisci, qui reçoit quantité de CV de compatriotes désireux de refaire leur vie ici. « Le système d’éducation français est très fort en ingénierie et en modélisation financières. »
Que la compétence en gestion des ressortissants de l’Hexagone soit reconnue, c’est nouveau, signale Jean-Pierre Dupuis, professeur à HEC Montréal. Il est l’auteur de l’article « Être un « maudit Français » en gestion au Québec », qui traite du malaise dans les relations d’affaires entre francophones de part et d’autre de l’Atlantique. « Les Québécois reconnaissent la valeur des Français dans le domaine culturel depuis longtemps, mais nous avons le préjugé qu’ils ne sont pas bons dans les affaires », dit-il.
Les mentalités évoluent. Un étudiant sur quatre au baccalauréat en administration des affaires à HEC Montréal vient de France. La plupart sortent du baccalauréat français ou d’une année préparatoire. « Capitalisme français » ne sont pas deux mots contradictoires. « Peu de personnes dans le monde sont aussi productives par heure travaillée », avance Jean-Benoît Nadeau, journaliste et auteur de deux ouvrages sur la société française. Il y a résidé pendant plusieurs années.
La France, rappelle-t-il, est la sixième puissance économique du globe. Paris est une capitale internationale d’un pays presque deux fois plus populeux que le Canada, dont la gestion est centralisée et qui a des ambitions mondiales.
La raison de cette productivité ? Les Français sont hyper entraînés, fait valoir M. Nadeau. « Par exemple, les candidats au poste de percepteur d’impôt, en France, passent d’abord un examen. Après, ils entrent dans une école de percepteurs d’impôt. Après un an – pas trois semaines -, ils deviennent percepteurs. Si un d’entre eux immigre au Québec et travaille pour l’administration fiscale, il va être un fichu bon percepteur. »
Recrutement outre-mer
Les employeurs apprécient. « Beaucoup de bons candidats avec 5 à 10 années d’expérience envisagent de s’établir au Québec », dit Bernard Labelle, vice-président principal du Groupe CGI, à Québec. Ce géant des technologies de l’information a embauché 20 Français, en avril 2008, lors d’une mission de recrutement outre-mer menée par l’organisme de promotion économique Pôle Québec Chaudière-Appalaches.
La réussite des Français dans les entreprises québécoises est telle que les gouvernements allègent leurs exigences. Au printemps dernier, le fédéral a prolongé le permis de travail post-diplôme. « Un tel permis donne aux étudiants étrangers fraîchement diplômés d’une université canadienne la possibilité de chercher un emploi pendant trois ans, explique Richard Buteau, directeur du service de placement de l’Université Laval. Auparavant, quand un étranger terminait ses études, il avait six mois pour trouver du travail, à défaut de quoi il devait rentrer dans son pays. »
Quant à l’épineuse question de la reconnaissance professionnelle, on peut espérer des progrès. Les gouvernements québécois et français ont signé en grande pompe, le 17 octobre dernier, une entente en matière de reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles. À titre d’exemple, l’Ordre des comptables du Québec et l’Ordre des experts-comptables de France se sont engagés à signer un arrangement à ce sujet d’ici la mi-avril.
Des participants à nos succès
L’exode des Français au Québec se poursuivra-t-il longtemps ? À court terme, la crise économique pourrait le ralentir. Quoi qu’il advienne, il est à parier que les manuels d’histoire retiendront qu’au tournant des années 2000, le Québec s’est enrichi d’un flot récurrent d’immigrants français.
« On l’a vécu dans les années 1960, lorsqu’un grand nombre de Français sont venus dans les universités et ont accompagné le décollage intellectuel du Québec, précise Jean-François Lisée. Mais aujourd’hui, ce n’est plus du tout le même rapport. Ce sont des gens qualifiés qui viennent participer aux succès d’une société arrivée à maturité. »
Source : Lesaffaires.com